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La Sierra Leon (Mexique), juillet 2000
Ce jour-là, je me suis rendu, par curiosité et qui sait, peut-être aussi par intuition, à la fête du village du modeste Sierra Leon à quelques dizaines de kilomètres du lieu de tournage d’un film pour lequel j’étais venu, pour la première fois de ma vie, au Mexique.
Ambiance bon enfant, effervescence qui se lisait sur les visages des villageois, abondance du mezcal, boisson nationale, dernières préparations pour le moment le plus attendu de la fête, la course de chevaux, tout a contribué à ce que je me sente à l’aise parmi ces gens simples et bienveillants, loin des clichés et des images touristiques.
A l’approche de la course, j’étais déjà derrière la grille, simple filet de fer, qui séparait la piste improvisée de l’espace réservé aux spectateurs, objectif dirigé vers l’endroit par lequel devaient nécessairement passer les chevaux.
La fête était à son comble et je ressentais partout autour de moi l’excitation que le début de la course provoquait chez les villageois.
Et puis, les évènements se sont enchaînés comme dans un film muet.
De la foule bruyante, les spectateurs se sont transformés en témoins subitement dépourvus de parole. Dans un silence absolu, la vie d’un cheval s’éteignait, dans la souffrance, devant leurs yeux.
Séquence par séquence, je continuais à saisir les moments cruciaux de cette (mise à) mort, les trois coups de pistolets, la mise à l’écart du corps du cheval sur le terrain vague d’à côté, son ramassage par la tractopelle et son enterrement à la déchetterie locale.
Des années après ma sortie de Sarajevo assiégé et meurtri, c’était la première fois qu’un événement me bouleversait autant.
Je revoyais les corps déchiquetés de mes concitoyens, les souffrances des blessés soulagées par des tirs à pistolet des camarades de guerre, je témoignais de nouveau, sous l’œil de mon objectif, que la vie ne tenait qu’à un fil, vie de cheval, vie d’homme, n’importe.
Cet événement est resté gravé dans ma mémoire comme une suite d’images qui, une par une, dans l’ordre dans lequel elles s’ensuivaient, me terrorisaient par leurs déjà-vu, et je tiens à les présenter ainsi.
Milomir Kovačević |
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